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nuits.

Des mois, des mois
Sans voir le temple et le creux des murs
Quand sonne la poitrine à moi
À contempler les rives
Mille vagues des siècles
Je viens. Il fait si froid. […]

peaux. ii

« Combien ?
— Cent vingt-sept mille.
— Est-ce bien tout ? »
Le notaire ajusta ses lunettes par la branche en expirant bruyamment.
« Êtes-vous fumeur ? » demanda-t-il l’air navré, et il l’était plus qu’il ne l’aurait cru. Depuis qu’il l’avait cassée, sa monture penchait légèrement vers la droite et sa tête s’était adaptée aux angles étranges que prenaient les verres caduques. La lecture lui était depuis rendue pénible ; il plissait les yeux longtemps, grattait ce qui restait de cheveux avec le bras qui ne tenait pas l’acte de succession, se raclait souvent une gorge rêche de ne pas avoir la cafetière à portée de main. […]

peaux.

L’attrait surnaturel que lui prêtait son estime de lui-même apparaissait aux princes de toutes les cours comme le chef-d’oeuvre de l’insolence. Les dernières âmes à ne pas le connaître se figuraient les visages angéliques et sournois de ces mignons que ceux d’entre eux, la race des vieillards lubriques, ceinturaient de leurs affections au détriment de leurs épouses fatiguées ; et ce crédit qu’ils défendaient au nom de Dieu et de leurs certitudes s’effondrait lorsqu’enfin l’enfant remarqué anoblissait, de sa figure d’exilé, le linteau sculpté et le narthex qu’à l’ordinaire ils oubliaient de regarder. […]

monsieur. iii

Esche. Le grand-père venait de la campagne, alors Esche. L’enfant, chétif urbain défait, n’avait aucune similitude avec l’arbre qui avait détruit le toit de l’ancienne scierie ; peut-être avait-on trouvé une excuse à partir des racines ostensibles et enflées, étranges excroissances mousseuses par trop de raisons supérieures au fer, au cuivre et aux aigus métalliques que les soirs de grand vent faisaient tinter encore, devenus le mal ancien de la vallée. Peut-être était-ce l’irisé vendémiaire des feuilles une fois au sol, lentement décomposées, ou plutôt celui du cidre fermenté depuis l’exsudat et le miellat de l’Arbre du Monde — comment l’appelait-on, déjà, la rosée du ciel ? Peut-être étaient-ce les reflets colorés du verre humide posé sur le comptoir du bar, éclairé à demi par l’ampoule grelottante et le flou de l’heure tardive ; toujours est-il que le puceron d’Heinrich, le rêveur de Tancrède et l’impossible citadin de Dieter, par syncrétisme, avaient été baptisés, sous l’autorité du verbe tchèque et trébuchant du plus ancien, Esche. […]

monsieur. ii

Mieux… Il est temps de se lever. Oui, du temps. C’est l’ambition qu’il faut au nouvel aveugle pour sentir la nuit tomber ; l’homme ne connaît son corps ni sa mémoire, mais il sait ce qu’il coûte de confier l’un et l’autre à l’appréciation du temps. C’est la crainte fondamentale, désormais, et l’œil écrasé voit plus lucidement l’obscurité des combles qu’il habite, de la lucarne, timide iconostase. Il faut bien le coude et les deux mains pour épargner à la joue empreinte des lattes la crispation migraineuse d’un autre début de soirée… A-t-il seulement dormi ? Combien de temps, encore, a duré… […]

monsieur.

C’est dans un courant d’air, le manteau usé, qu’il perd en volume une fois rentré. Le brun de la toile s’est terni à force d’averses, de voyages en train et de rebonds du cartable de cuir sur l’os de la hanche droite, la main blafarde crispée sur la poignée depuis que la courroie s’est décousue elle-même bannie. Elle lâche, la main, évidente sur le plancher un peu escarpé, le cartable, donc, à même l’entrée à niveau avec rien ; il semble que ne s’effondre qu’un côté de l’immeuble. Il fatigue, son bras tombe avec la poignée, il semble, mais non, non, c’est seulement le manteau qui traîne, fatigue d’être porté et qui par son vote illustre signe son exil ; et d’un geste auquel manque quelques articulations le manteau est banni, le professeur congédié. […]

À Dieu.

Vous m’arrachez la gorge, Votre Grâce, et je suis las d’écrire les lettres que vous déchirez. La force a quitté mes bras assommés et ma tête cassée : parfois ils sentent germer le sursaut de ma patience et savent accrocher de la raison à un art primitif, un tarot tiré les yeux soudés. Voilà une divination parjure : je devine un amour pour vous au-delà de moi, égoïste au loin, navré de sa nature… Il vous veut comblé ; il chasse la médiocrité et cueille les reflets qui échouent dans les nœuds de vos mains alors sûres d’être aimées. […]

ploie.

Il cueille la juste gourmandise, le rêve à point comme une cerise noircie, les lèvres acides d’une goutte de sueur toute humaine, compensée sans gêne par le sucre de son baume ; il goûte, fin gourmet, aux saveurs de sa nuque penchée qu’il imagine à la merci de ces doigts agités, sages toujours sur le dossier, pudique retenue de l’amant public ; il ploie, à son service tout destiné, le corps engagé dans la passion de son présent, devant lui accompli, sur un baiser anobli et s’efface autour d’eux, lugubre horizon de la pièce encombrée, la poussière de l’assemblée aux yeux clos. Ceux-là se sont trompés d’existence. […]

leurres.

Par l’aiguille recouds, Ciel, croyance païenne,
La douce lettre à mes ongles volée ; attire,
S’il te plaît, son encre moins noire que mes pensées
Tout contre son col rouge de langueur pour mon ire,
Merci. […]

hivers.

On croyait trop de lui ; et depuis ses inquiétudes fleurissait une hypocrisie cyclopéenne. Ses ambitions d’artiste, il les avait cachées sous le sable : ainsi devenait-il le totem lamentable des humeurs des médiocres — et, que dire sinon qu’il aimât la niche dans laquelle il avait trouvé refuge. […]